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vendredi, 24 novembre 2006

Les passants

Si ces lieux sont sans passants, il est aussi des passants sans lieux… ou presque. Grooteclaes, parfois, en toute humilité, se prend pour le destin. Un destin partial, qui s’exprime au moment où se déclenchent, non seulement son appareil mais, surtout, sa mémoire humaine. Voici cette Martiniquaise, panier à l’épaule et ombrelle teintée d’un rose indistinct, qui passe dans sa jupe plissée et, naturellement, nous tourne le dos. Voici ces Japonais dans une salle d’attente de Tokyo. Voici cette femme nue, blonde et brune, aux seins parfaits, à Arles. Voici encore ces deux vieilles dames à cabas, à Zuydcoote, sur le banc de leur hasard… qui nous tournent le dos. Voici cet orchestre de rue, en Italie, dont tous les musiciens sont âgés. Voici ces deux passants, l’homme porte un béret, ils cheminent au bord d’un quai, le dos tourné… Mais pourquoi ces vues de dos, presque systématiques ? Parce que Grooteclaes photographie le silence, parce qu’il a l’entêtement discret des marées de mer du Nord. Et puis, peut-être aussi, pour ces raisons qui lui faisaient masquer le regard de ses filles par leurs cheveux ouverts, avec la tranquille complicité du vent. Histoire de voir moins net. De voir flou, ce qui n’a jamais empêché la lucidité de l’artiste. Enfin, naturellement, par discrétion, par sa délicatesse constante.

Dans cet enfer un peu secret et si attachant par la sensibilité émue qui s’y devine, il y a l’érotisme, inévitable. Il est en permanence présent. Toutes les photographies de Grooteclaes sont érotiques. Évidemment, le flou n’y est pas pour rien. Et, parfois, la chose est dite. Comme ces images, jadis publiées dans Plexus, [1] qui nous troublaient, présentées dans sa période « photographisme », avec la violence du rouge, du noir et du blanc. Ou bien, cette série de nus, publiée dans la même revue, traitée selon la technique du « pointillisme », avec des ombres, des noirs et blancs à vous damner définitivement. [2] Puis l’érotisme fut suggéré par « le flou Grooteclaes ». Ce couple, à Fort-de-France, qui s’en va sous une ombrelle rose et se glisse entre deux automobiles trop blanches, stationnées entre deux parterres d’herbe trop verte, que va-t-il faire ? Et ces deux parterres, bizarrement, ont une forme féminine, avec cette allée, là, entre eux, où marche le couple… Ne rien dire, ne rien dire… Se taire comme se tait Grooteclaes, seulement appuyer sur le bouton et, ensuite, ajouter ses couleurs, au secret, dans son atelier… Oui, mais avant de déclencher, il faut voir la photographie possible, l’imaginer juste avant de prendre en mains l’appareil du destin. Et si le destin finit en cartes postales, ce n’est pas de la faute de l’auteur… Que sommes-nous, nous-mêmes, sinon des messages à transmettre, des bouts timbrés de notre propre vie ? Ferré savait les mots qu’il faut : « Dans vos photographies, il passe quelque chose « en plus », ce que les Italiens appellent le non so che, la dernière auberge des critiques et des experts désarmés ». [3] Et voilà, il suffisait d’un poète, pour tout exprimer.

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[1]. Plexus, n° 33, mars 1970.

[2]. Plexus, n° 18, du 15 novembre 1968.

[3]. L’Éternité de l’instant, catalogue d’exposition, op. cit.

03:00 Publié dans Essai | Lien permanent | Commentaires (0)

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